Stanis Bujakera Tshiamala, correspondant de Jeune Afrique en RDC, est incarcéré depuis le 14 septembre. Le responsable du service investigations de RSF, qui faisait partie de la délégation envoyée fin octobre à Kinshasa par l’ONG, revient pour Jeune Afrique sur la situation de notre correspondant.
Arrêté le 8 septembre à l’aéroport de N’Djili, à Kinshasa, Stanis Bujakera Tshiamala comparaîtra une nouvelle fois le 3 novembre devant le tribunal siégeant à la prison de Makala, où il est incarcéré depuis un mois et demi.
Correspondant de Jeune Afrique en RDC, collaborateur de Reuters et directeur adjoint du site Actualite.cd, il est accusé de « faux en écriture », « falsification des sceaux de l’État », « propagation de faux bruits », et « transmission de messages erronés et contraires à la loi ». Stanis Bujakera Tshiamala n’a cessé de rejeter ces accusations.
Les faits qui lui sont reprochés concernent une note attribuée à l’Agence nationale de renseignement (ANR) qui revenait sur les circonstances de la mort de l’ancien ministre Chérubin Okende, porte-parole du parti de l’opposant Moïse Katumbi tué mi-juillet à Kinshasa, et dont s’était fait l’écho un article publié sur le site de JA. Un article que Stanis Bujakera Tshiamala n’avait pas signé. Les autorités congolaises ont démenti l’authenticité de cette note dans un courrier adressé à Jeune Afrique le 9 septembre, autrement dit au lendemain de l’arrestation de notre confrère.
Son procès s’est ouvert le 13 octobre. Après une brève séance d’ouverture, les magistrats ont abordé le fond du dossier le 20 octobre lors d’une audience à laquelle plusieurs observateurs ont pu assister. Reporters sans frontières, dont une délégation effectuait alors une mission en RDC, a notamment pu se rendre au procès. RSF a dénoncé une détention arbitraire et demandé que Stanis Bujakera Tshiamala soit libéré. Arnaud Froger, responsable du service investigations de l’ONG, a participé à cette mission et revient pour Jeune Afrique sur la situation de notre correspondant.
Jeune Afrique : Vous revenez tout juste d’une mission à Kinshasa, où vous avez multiplié les rencontres autour du procès intenté à Stanis Bujakera Tshiamala. Avez-vous le sentiment que cela a permis de faire avancer les choses ?
Arnaud Froger : Le bilan global, malheureusement, c’est que cette affaire dure depuis bien trop longtemps, et que l’on ressent aujourd’hui la nécessité de redoubler nos efforts sur la mobilisation. C’est devenu d’autant plus problématique que le procès s’est ouvert et que l’on a tous très peur qu’il débouche sur une condamnation, évidemment infondée, mais dont les conséquences seraient terribles. Terribles pour Stanis Bujakera Tshiamala, bien sûr, mais terribles aussi pour l’ensemble de la presse congolaise, au sein de laquelle on risque de voir une très forte autocensure s’instaurer.
On est passé d’une première phase, lors de laquelle on a fait confiance aux autorités, tant judiciaires que politiques, qui nous envoyaient beaucoup de messages qui se voulaient rassurants, à une nouvelle phase, dans laquelle on va se montrer beaucoup plus actifs et offensifs. On ne peut pas se contenter de voir ce procès se dérouler de cette manière, avec une absence totale de preuves, sans réagir, alors que les accusations sont gravissimes.
Le président congolais, Félix Tshisekedi a insisté sur l’indépendance de la justice congolaise. Plusieurs membres du gouvernement ont également répondu, à celles et ceux – nombreux – qui réclament la libération de notre confrère, qu’ils ne pouvaient pas intervenir au nom de la séparation des pouvoirs. Cet argument n’est-il pas imparable ?
On aimerait beaucoup croire à ce discours, mais ce n’est plus possible. Si le dossier était uniquement judiciaire, Stanis Bujakera Tshiamala ne serait pas en prison, aujourd’hui. Il n’y a aucune preuve. Compte tenu des éléments qui figurent au dossier et des charges initialement retenues, il aurait dû être mis en liberté à l’issue de sa garde-à-vue. Ce que nous réclamons, c’est que Stanis puisse assister à son procès en homme libre. Mais les quatre demandes de remise en liberté provisoire ont été successivement rejetées, avec des arguments totalement fallacieux. On nous dit qu’il risque de quitter le pays, mais Stanis Bujakera Tshiamala n’a jamais manifesté cette volonté. Au contraire, il est prêt à défendre son honneur, et la qualité de son travail.
Arguer de l’indépendance de la justice, aujourd’hui, est un argument difficilement tenable alors que le ministère public, qui porte l’accusation dans le dossier, le fait avec un dossier complètement vide. Pis, nous sommes passés d’accusations de « propagation de fausses informations » à, désormais, des charges aussi gravissimes que farfelues. On l’a d’abord accusé d’avoir été le récipiendaire d’un document, avant de l’accuser désormais de l’avoir fabriqué, d’avoir fabriqué un faux.
Ce que nous demandons, c’est l’extinction immédiate de cette procédure. Et, à tout le moins, que Stanis Bujakera Tshiamala puisse comparaître en homme libre.
Vous avez notamment, avec la délégation de RSF, rencontré Patrick Muyaya, ministre congolais de la Communication et des Médias. Ces échanges ont-ils été constructifs ? Qu’en retirez-vous ?
Je crois profondément que ce dossier est gênant pour une partie des responsables politiques. C’est d’autant plus gênant pour un ministre de la Communication qui a passé une bonne partie de sa mandature à mettre en place des réformes importantes qui étaient destinées à permettre aux journalistes de travailler dans de bonnes conditions. C’est Patrick Muyaya qui a été à l’œuvre sur les Assises nationales de la presse, qui n’avaient pas été organisées depuis des années. C’est aussi lui qui a porté la nouvelle loi sur la presse qui, si elle n’est pas parfaite, a constitué une avancée indéniable sur plusieurs points. Cela s’est d’ailleurs reflété dans le classement RSF de la liberté de la presse, au sein duquel la RDC a beaucoup progressé sous Félix Tshisekedi.
Là, on se retrouve face à un dossier dans lequel, clairement, la volonté des autorités semble être d’attenter directement au respect du secret des sources, un élément essentiel pour le droit de la presse. C’est une tâche importante dans un bilan qui, en matière de liberté de la presse, était jusque-là plutôt bon. Félix Tshisekedi, à la veille d’une campagne lors de laquelle il sollicite à nouveau le suffrage des Congolais, termine son mandat avec un journaliste incarcéré arbitrairement.
Certaines voix, parmi les personnalités qui plaident pour la libération de Stanis Bujakera Tshiamala, affirment que son arrestation a notamment pour but de faire peur à l’ensemble de la presse, à quelques semaines de la présidentielle de décembre prochain. Est-ce également votre sentiment ?
Sans vouloir prêter aux autorités l’intention supposée de vouloir faire peur aux journalistes, on peut cependant constater que la conscience des risques est, désormais, bien là. Beaucoup de journalistes se montrent extrêmement prudents… Et on les comprend. Quand on voit que, sur la base de rien ou presque, on peut enfermer un journaliste, ses confrères ne peuvent qu’être inquiets, et sur leurs gardes.
Vous expliquiez avoir l’intention de passer à une étape supérieure dans le mode d’action. Concrètement, quelles sont les prochaines étapes ?
Nous allons continuer et amplifier la mobilisation, comme nous l’avons déjà fait à Kinshasa, notamment via une conférence de presse. Nous avons également saisi le groupe de travail des Nations unies sur les détentions arbitraires. Nous avons également rencontré les diplomates basés en RDC, parmi lesquels beaucoup s’inquiètent de la situation, car Stanis Bujakera Tshiamala, de par ses qualités professionnelles et sa notoriété, est l’un des journalistes congolais les plus reconnus en RDC.
Par ailleurs, nous sommes également en train d’enquêter sur les circonstances de l’arrestation de Stanis Bujakera Tshiamala. Comment en est-on arrivé là ? Plus cette affaire va durer, plus la vérité sur ses dessous risque d’être rendue publique. Nous avançons sur notre enquête. D’autres enquêtent également. Il y a eu une volonté manifeste de s’en prendre aux sources de Stanis Bujakera Tshiamala, mais aussi de le « punir ». Ceux qui ont œuvré à cela en portent la responsabilité et, plus la situation dure, plus les noms risquent de se retrouver sur la place publique.
Vous avez pu rencontrer Stanis dans sa prison, à Makala. Comment va-t-il ?
Il est fidèle à lui-même. Il est chaleureux, et semble même être dans une forme de sérénité. Il sait qu’il est dans son droit, et cela le rend combatif. Il n’a nulle intention de fuir ses responsabilités, mais il n’a certainement pas l’intention de s’excuser. Au contraire, il veut laver son honneur et défendre son travail. Bien sûr, il y a une forme d’impatience, ce qui n’est pas surprenant quand on est incarcéré depuis plus de six semaines, injustement.
Jeune Afrique